- Manifestations scientifiques,
- Recherche,
[IETT] Appel à communications | De la règle à la marge : politiques et esthétiques du jeu (limite : 6 février 2026)
Publié le 3 décembre 2025 – Mis à jour le 5 décembre 2025
Limite : 6 février 2026
Nous sommes ravi·es de vous inviter à la journée d’études « De la règle à la marge : politiques et esthétiques du jeu », organisée le 18 juin 2026 à la Maison Internationale des Langues et des Cultures (35 rue Raulin, Lyon 7e) par le laboratoire IETT (Université Jean Moulin Lyon 3).
Les communications pourront se faire en français ou en anglais.
Appel à communications
Cette manifestation autour du jeu vise à rassembler des doctorant‧es et jeunes chercheur‧euses autour d’une thématique transversale et pluridisciplinaire. Le jeu, bien que d’abord rattaché à l’enfance et aux loisirs, est une notion fondamentalement plastique. Terme polysémique, on le retrouve dans d’innombrables expressions. Du latin jocus, signifiant plaisanterie ou badinage, le jeu renvoie d’abord à un amusement ludique qui n’a pas forcément d’autre but que lui-même, étant ainsi une activité « improductive » (Caillois 1967). Ce temps du loisir n’en reste pas moins défini par un ensemble de règles plus ou moins explicites, par un cadre qui permet son bon déroulement. A première vue, le jeu ne saurait donc se passer de contraintes. Le jeu renvoie aussi à un espace particulier, celui de l’interstice dans une machinerie. Son rôle est double : il peut indiquer un défaut de conception ou tout au contraire permettre de fluidifier le mouvement des pièces entre elles. Ouvrant un espace, le jeu permet donc mouvement et évolutions. Enfin, que ce soit au théâtre, en musique ou dans le jeu de rôle, le jeu évoque aussi l’interprétation, la marge de manœuvre dans la performance. L’interprétation permet alors de dévoiler un autre « jeu du signifiant » (Barthes 1972), plus personnel et labile.
Le jeu pourra faire l’objet d’analyses civilisationnelles, historiques ou politiques variées. Il peut dans un premier temps s’entendre comme un ensemble de règles et de codes plus ou moins tacites qui garantissent la cohérence d’un groupe social donné et permettent de mettre en lumière des enjeux d’éthique ou de légitimité. Il pose ainsi la question des normes sociales du conformisme ou de la déviance. Dans les sphères politique et économique, le jeu fait aussi référence à une stratégie, un moyen d’accès au pouvoir (on parle de « jouer le jeu » d’un parti par exemple, de savoir placer ses pions) voire un moyen de domination (on offre « du pain et des jeux » pour calmer les potentielles ardeurs révolutionnaires du peuple). Il peut en ce sens entraîner une forme de manipulation. Toutefois, le jeu, espace interstitiel, remplit aussi un rôle de contestation de l’autorité. Sans enfreindre la règle, il en exploite les failles et permet l’élaboration d’une stratégie davantage fondée sur la subversion que sur l’opposition frontale aux codes établis par le pouvoir. En cela, il possède une forte valeur de déstabilisation. Le jeu comme espace contestataire, comme dynamique de « déterritorialisation » pour reprendre la nomenclature de Deleuze et Guattari, fait irrémédiablement face aux « appareils annexes, bureaucratiques et policiers » du capitalisme qui « re-territorialisent à tour de bras tout en absorbant une part croissante de plus-value » (Deleuze et Guattari 1973). Dans un tel contexte, on pourra alors s’interroger sur le véritable pouvoir subversif du jeu et sa capacité à maintenir un espace contestataire et marginal.
Le jeu est également central en littérature : on pense bien sûr en premier lieu à la littérature d’éducation (qui dès le XIXème siècle cherche à réconcilier instruction et plaisir), ou aux genres littéraires et livres-jeux qui favorisent l’agentivité des lecteurs (mentionnons à titre d’exemple le genre du whodunit ou encore les « livres dont vous êtes le héros »). Au-delà de ces genres spécifiques, l’agentivité des lecteurs est notamment au cœur des œuvres postmodernes, qui sont envisagées par Barthes comme des textes « scriptibles » (Barthes 1970). L’instabilité inhérente au jeu autorise une littérature innovante et qui donne à voir les interstices ; en somme, une littérature qui représente « la possibilité d’une dialectique du désir, d’une imprévision de la jouissance : que les jeux ne soient pas faits, qu’il y ait un jeu » (Barthes 1973). C’est là l’un des principes de la littérature qui joue avec les canons de l’écriture, qui apprend à maîtriser des règles pour parfois s’en affranchir ou les parodier, et qui ne cesse de jouer avec les attentes des lecteurs. En renversant ces règles, en parlant depuis la marge, elle permet parfois la contestation des hiérarchies établies, de ce qui fait norme, en endossant l’esthétique carnavalesque telle qu’analysée par Bakhtine. L’interprétation et les jeux de rôle mettent en avant la règle tout en la subvertissant et créent un espace de liberté.
Enfin, dans le domaine de la linguistique et de la socio-linguistique, le jeu est aussi un concept fertile. Le rapport fondamentalement ludique que les enfants entretiennent à la langue permet de mettre en lumière le rôle du jeu dans les processus d’acquisition de la langue (Crystal 1998, Beard et Burrell 2021). Une fois apprises, les règles linguistiques sont ensuite suivies ou détournées : jeux de mots et paronomases jouent avec la matière plastique du langage. Ces règles sont également respectées ou subverties selon les contextes sociaux (alternance codique) et selon la volonté ou non des locuteurs d’affirmer leur identité sociale et géographique (utilisation de variétés non-standard de la langue). De plus, l’analyse conversationnelle et l’analyse de discours permettent d’étudier en contexte les objets linguistiques propres au jeu, comme la formulation des règles ou les stratégies de communication et de coopération des joueurs et joueuses dans les jeux vidéo (Ensslin et Balteiro 2019).
Pistes de réflexion possibles :
- Divertissement et désintéressement : la fête et ses dérivés (le carnaval, les free parties) ; histoire des loisirs et de l’oisiveté ; rôle et place du jeu face au productivisme et au capitalisme.
- Identités en jeu(x) : enfance et construction de soi par le jeu ; performance de l’identité dans le jeu et le déguisement ; sport et représentation de l’identité nationale par le jeu ; adaptation et subversion des règles linguistiques (code-switching).
- Politiques et règles du jeu : jeu et minorités (de genre, ethniques) ; inclusion et exclusion par le jeu ; transgression et réinvention des codes et des règles ; enjeux de domination et de contrôle ; contestation de l’hégémonie culturelle vs. gentrification (de l’underground au mainstream).
- Jeu, interstices et marges : intertextualité et jeu de références culturelles ; jeu avec les frontières entre les genres littéraires ; néologismes, jeux de mots et créativité linguistique ; rôle et maintien des espaces marginaux contestataires
Modalités d’envoi des propositions de communication
Les propositions de communication sont à adresser par mail à journee.jeu@gmail.com avant le 6 février 2026. Elles prendront la forme d’un résumé de 300 mots maximum, accompagné d’une brève notice bio-bibliographique (nom, prénom, affiliation universitaire et/ou scientifique, thématiques de recherche, éventuelles publications). Les réponses aux propositions de communication seront transmises en avril 2026 au plus tard. Les langues de communication acceptées sont le français et l’anglais.
Comité d’organisation
- Catherine Delesalle-Nancey (Université Lyon 3, IETT)
- Raphaël Laloue (Université Lyon 3, IETT)
- Lena Osty (Université Lyon 3, IETT)
- Étienne Roy (Université Lyon 3, IETT)
Bibliographie indicative
- Bakhtine, Mikhaïl. L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance. Trad. Andrée Robel. Paris : Gallimard, 1970.
- Barthes, Roland. S/Z. Paris : Seuil. 1970.
- ———. Le degré zéro de l’écriture, suivi de Nouveaux essais critiques. Paris : Seuil, 1972.
- ———. Le plaisir du texte. Paris : Seuil, 1973.
- Beard, Roger, et Andrew Burrell. Language Play and Children’s Literacy. Londres : UCL IOE Press, 2021.
- Brougère, Gilles. Jeu et éducation. Paris : L’Harmattan, 1995.
- Caillois, Roger. Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige. [1958]. Paris : Gallimard, 1985.
- Crystal, David. Language Play. Harmondsworth : Penguin, 1998.
- Debord, Guy. La société du spectacle. [1967]. Paris : Gallimard, 1992.
- Deleuze, Gilles, et Félix Guattari. Capitalisme et schizophrénie 1. L’anti-Œdipe. Paris : Éditions de Minuit, 1973.
- Duvignaud, Jean. Fêtes et civilisations. Genève : Weber, 1973.
- Edgeworth, Maria, et Richard Lovell Edgeworth. Practical Education. [1798]. Cambridge : Cambridge University Press, 2012.
- Enslinn, Astrid et Isabel Balteiro. Approaches to Videogame Discourse. Lexis, Interaction, Textuality. Bloomsbury : New York, 2019.
- Huizinga, Johan. Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu. [1938]. Trad. Cécile Seresia. Paris : Gallimard, 1988.
- Idelon, Arnaud. Boum boum. Politiques du dancefloor. Quimperlé : Divergences, 2024.
- Lyotard, Jean-François. La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir. Paris : Editions de Minuit, 1979.
- Ozouf, Mona. La fête révolutionnaire : 1789-1799. [1978]. Paris : Gallimard, 1988.
- Picard, Michel. La lecture comme jeu, Essai sur la littérature. Editions de Minuit, collection critique, 1984.
- Roussillon, René. Le Jeu et l’entre-je(u). Paris : Presses universitaires de France, 2008.
- Walvin, James. A Child’s World. A Social History of English Childhood, 1800-1914. Harmondsworth : Penguin Books, 1982.
- Winnicott, Donald. Playing and Reality. [1971]. Londres : Routledge, 2005.
Crédit image
Marcel Duchamp, 1910, Joueur d'échecs (The Chess Game), huile sur toile, Philadelphia Museum of Art.
Contact :
Organisateurs :
journee.jeu@gmail.com
Thématiques :
Manifestations scientifiques; Recherche
Informations
Le 18 juin 2026Toute la journée
Campus des Quais
Maison internationale des langues et des cultures
35 rue Raulin - Lyon 7e
Mise à jour : 5 décembre 2025
